Le bouébo de chalet


 

Dès l’âge de 14 ans, ou plus jeunes encore, les garçons de chalet vivaient à l’alpage de mai à septembre - octobre. Leurs parents faisaient une demande de congé à la commission scolaire - car le temps d'estivage dépassait les vacances scolaires - et l’inspecteur accordait ou refusait la dispense. Cet ancien « bouébo », né en 1925, témoigne :

« Ma première saison d’alpage, je l’ai passée dans un chalet en-dessous de Vounetz. C’était en 1935 et j’avais dix ans. A cet-âge-là, nous restions en haut de mai à la rentrée scolaire. Mon premier travail de la journée, c’était allumer le feu à six heures pour faire le café des armaillis  dans le chaudron. Puis à l’écurie, j’allais vider les baquets du lait de la traite dans la chaudière à fromage et vers huit heures, je préparais le déjeuner des hommes : café au lait, crème au baquet, fromage et pain. Il fallait ensuite chauffer de l’eau dans le chaudron, qui devait être très chaude pour laver tous les ustensiles en bois : les cuillères à crème, les baquets à soupe et à traire. J’allais arranger ensuite les paillasses de foin et les couvertures sur le soliveau car c’est là que nous dormions, au-dessus de l’écurie.

Puis je balayais et nourrissais la vingtaine de cochons avec les résidus de la cuisson du sérac, et j’aidais ensuite le maître-fromager à tenir la toile pour sortir le fromage. Pour le dîner, je préparais de la soupe, celle qu’on appelle « soupe de chalet » : pommes de terre, macaronis, lait, crème, fromage, épinards ou ciboulette sauvages. Mais parfois c’était simplement du petit-lait donné par le fromager avec un peu de sérac et de la crème double. On mangeait la soupe avec un morceau de lard ou de la saucisse. Je faisais parfois des macaronis avec des oignons fricassés auxquels on ajoutait du fromage et de la crème. Le soir, c’était le même genre de menus, tous décidés par le maître-fromager. Après le dîner, nous faisions une petite sieste avant d’aller arracher les mauvaises herbes dans les pâturages. Puis tout recommençait avec la traite du soir.

Un travail que j’aimais, c’était aller couper du sapin très fin qui était mis comme bouchon-passoire dans le couloir à lait (ustensile pour passer le lait). Car parfois, des poils de la tétine – les vaches de l’époque les avaient poilues ! – ou des restes de sérac employé comme graisse à traire par les armaillis tombaient dans le lait. Le dimanche, je m’accoudais à la demi-porte du chalet, espérant voir ma mère sortir à l’orée de la forêt, au fond du pâturage. Elle venait me voir deux ou trois fois durant l’été. Mon père montait une seule fois pour chercher le sérac de 5 kg : le salaire du garçon de chalet, auquel s’ajoutait parfois 30 francs, si le bouébo avait vraiment bien travaillé ! Les « bonnes-mains » reçues des promeneurs de passage, je les mettais dans un porte-monnaie, que je vidais et donnais avec fierté à ma mère à ma descente de l’alpage.